Contexte socioéconomique du développement de l’agriculture en Haïti
Pour aborder la problématique de la crise alimentaire en Haïti, il est incontournable de faire le point sur le développement économique et social au cours de l’histoire de ce pays. Cette analyse pourrait faire l’objet de plusieurs chapitres, mais je me contente d’aborder l’essentiel de la question afin de mieux cerner le sujet qui nous préoccupe, à savoir : «la revitalisation de l’agriculture et de la crise alimentaire en Haiti. En effet, il importe de jeter ce coup d’œil rétrospectif sur les situations qu’a connues Haïti, car nous ne pouvons pas projeter un avenir meilleur sans une analyse profonde des événements historiques qui sont à la base de l’extrême pauvreté qui y sévit actuellement. Et comme d’aucuns l’ont bien signifié :« il est essentiel de reconnaître son passé pour mieux projeter son avenir».
Haïti est le fruit de l’holocauste le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité, dès la conquête de l’île «Hispañola», ses premiers habitants furent exterminés par les colons espagnols pour mieux s’accaparer de sa richesse en ressources naturelles : métaux précieux, bauxite, grande fertilité des terres pour l’exploitation de la canne à sucre. Haïti fut ipso facto baptisée :«la perle des Antilles». L’extermination des premiers habitants d’Haïti a donné lieu au trafic triangulaire transatlantique par lequel des millions d’esclaves africains furent enchaînés et déportés vers Hispañola pour les remplacer. Ainsi, plus de cent milles esclaves africains sont exploités par quelques dix milles colons blancs de 1502 à 1794. Cela dit, le monde occidental connu aujourd’hui comme la communauté internationale, a été le premier à poser le premier jalon de l’atrocité des conditions infrahumaines et de la précarité de la situation économique et social qu’a connues Haïti au cours de toute son histoire.
Par ailleurs, la richesse de l’Île a incité des pirates français à venir s’y installer vers les années 1630. Haïti est donc occupée par les français en 1665. Les Espagnols et les Français s’accordèrent par le traité de Rijswijck en 1697 pour partager l’Île en deux parties, la partie Est devint la «République Dominicaine, «Saint Domingue à l’époque», propriété de l’Espagne et celle de l’Ouest devint Haïti, propriété des Français. Tous deux jouissaient des richesses du pays jusqu’à la guerre de l’indépendance.
Il a fallu attendre jusqu’en 1791 pour assister au plus important soulèvement des esclaves qui ont suivi le courant de la révolution française de 1789. Cette révolution a donné lieu à l’abolition de l’esclavage en 1794. Haïti est alors devenue la première République noire indépendante le premier janvier 1804. Mais au plus grand étonnement de tous, le principal leader de la guerre de l’indépendance, Jean-Jacques Dessalines, fut assassiné dès 1806 par ses propres confrères, après avoir reparti des lopins de terre à certains citoyens pour l’exploitation agricole. Cet acte barbare nous ramène à la conclusion que la question agraire se trouve toujours au cœur de la crise alimentaire qui a ravagé le pays, dès l’indépendance du pays. L’assassinat de Jean-Jacques Dessalines fut la goutte d’eau qui a fait déverser le vase : Haïti s’est vue aux prises de la violence et d’instabilité politique. Des luttes armées sans précédentes, des guerres civiles entre noirs et métisses, une pléthore de 7 présidents éphémères dans un espace de 5 ans (1910 -1915), véhiculaient cette culture politique désastreuse qui a ruiné le capital humain et le système de valeurs du pays dans son ensemble, le plaçant ainsi en marge du progrès économique et social.
De 1915 à 1934, Haïti est devenue la proie de l’occupation américaine, son économie continuait de dépendre de l’extérieur. D’ailleurs, dès le 19e siècle, le pays se trouve controversé en matière d’investissement étranger. Il est exploité par des français qui, au lieu d’investir dans le développement de l’industrie, du commerce et de l’agriculture, pour consolider un système économique durable, ont développé une économie usuraire prenant la forme d’emprunts d’États et des titres à intérêts[1].
En dépit des treize années de lutte de libération (1791-1804) qui ont dévasté les bases économiques du pays (l’agriculture), son économie a connu le pire des ravages au XXe siècle. Deux crises fondamentales l’ont plongé dans le chaos dès la fin de la guerre de l’indépendance, celles-ci ont provoqué les conséquences néfastes auxquelles Haïti se confronte présentement.
D’abord, une crise intérieure qui se caractérise par le manque de volonté et de sensibilité manifeste des décideurs politiques, fuite de cerveaux conduisant à un manque de capital humain, ainsi que la faiblesse des gouvernements éphémères qui se sont succédés sans aucun projet de société, aucun plan et/ou programme de développement agricole, voire un modèle de politique et de développement économique bien défini.
Deuxièmement, une crise structurelle qui freine tout progrès de la vie politique et de développement économique et social. Cette crise est marquée par la faiblesse et le manque de cadre institutionnel axé sur un système démocratique. Dès le début de son histoire, Haïti était mal partie, et, depuis le début du XXe, les plans de développement agricole, économique et social mis en place n’ont donné lieu qu’à une structure économique de survivance du type para-féodale et dont les retombées ne peuvent satisfaire aux besoins réels de la population. À tout cela s’ajoutent d’autres formes de luttes intérieures, notamment les luttes de rivalités entre différents groupes financés par les pays riches pour le partage de la rente féodale et du contrôle des institutions de l’État; la lutte entre l’Europe et les États-Unis pour avoir le contrôle du pays (Doura, F. 1995).
La première guerre mondiale marque un tournant décisif au progrès économique et social d’Haïti, cette guerre qui est devenue le principal centre de préoccupation de l’Europe, laisse Haïti en marge des stratégies de son développement. Les États -Unis en ont profité pour faire de l’Amérique latine et des Caraïbes leur zone stratégique et de sécurité intérieure. Néanmoins, au lieu de poser les bases d’une structure démocratique solide dans le pays, ils s’appuyaient plutôt sur sa faiblesse structurelle pour défendre leurs intérêts politiques et économiques en s’y installant militairement. En fait, et comme d’aucuns le rappellent :«l’occupation américaine plaçait Haïti dans une position de subordination croissante et de dépendance économique coloniale», elle plaçait aussi le pays dans une position de dépendance économique néo-coloniale par rapport au marché américain, aux capitaux américains et à la stratégie géopolitique des américains dans les Caraïbes (Doura, 1995).
Après le retrait des Américains, on a vu défiler toute une pléthore de gouvernements éphémères qui finissaient par 29 ans de dictature des Duvalier (1957 – 1986). Ces derniers consolidèrent leur pouvoir en rassemblant autour d’eux des miliciens redoutés «les Tontons Macoutes» qui, en faisant contrepoids aux forces armées haïtiennes (jusqu’alors structurées). Cette dictature qui s’installait pendant 29 ans, est porteuse d’une culture politique clientéliste de la classe moyenne majoritaire face aux énormes privilèges accordés à l’élite politique minoritaire et médiocre.
Depuis la chute du régime duvaliériste en 1986, aucun gouvernement n’a été capable de poser les bases du développement rural, de la démocratie et du développement économique et social en Haïti. L’élite politique partisane, habituée à la démagogie politique, a choisi de multiplier des partis politiques qui s’affichent comme porteurs des solutions aux problèmes du pays, chacun se dirige vers sa propre solution au lieu de s’accorder dans un consensus et une concertation nationale pour établir une nouvelle gouvernance démocratique du pays.
Ces politiciens préfèrent se livrer combat pour la course au pouvoir sans aucun projet social, sans aucun programme de développement de l’agriculture qui est la base de l’économie du pays. Les élections présidentielles dissipées par des «tontons macoutes» et des bandes partisanes le 29 novembre 1987, le coup d’état militaire renversant l’ex-président Lesly François Manigat au pouvoir en juin 1988 et la suite interminable de coups d’état militaire, montrent l’incapacité de l’élite politique haïtienne de s’entendre sur les bases structurelles et démocratiques susceptibles de permettre une bonne gouvernance en Haïti, et de susciter l’exploitation rationnelle des ressources naturelles du pays, en vue de son développement économique et social.
Comme on le voit, Haïti, quoique enclavée présentement par la force des crises de toutes sortes : politique, économique, sociale, alimentaire, etc. symbolise la libération de l’humanité, il a contribué au monde libre; malgré que ses dirigeants, emportés par la crise du pouvoir, n’ont pas su se prendre en main pour gouverner le pays sur la base d’une gouvernance démocratique, politique et économique solide qui assurerait le développement du secteur primaire, base de sa richesse et de son économie. Ces dirigeants n’ont pas été capables de tirer profit des interventions de la communauté internationale, bref, au même titre que les colons et leurs alliés qui ont eu peur de la liberté, les politiciens haïtiens ont eu peur de poser les bases du développement agricole, de la démocratie et de l’État de droit.
Haïti a en effet une histoire d’instabilité, de répression politique, de mauvaise gouvernance, de corruption, de faibles dépenses dans la santé et l’éducation, de faible investissement et de productivité, qui sont à la base de son extrême pauvreté. Il n’y a jamais eu de tentative gouvernementale sérieuse pour fournir les services de base nécessaires à la population ou pour créer un environnement dans lequel on pourrait assister à une réduction de la pauvreté. En particulier, les investissements pour augmenter la productivité agricole en Haïti sont presque inexistants.
[1] Fred Doura. Haïti, Plateau Central :économie et paysannerie, CIDHICA, Québec, 1995.
Dieufert Bellot, B.A; B.Ed; M.P.A; Doctorant - Politique Publique et Administration
Commentaires